... je ne l'ai jamais connue, car elle est morte deux ans avant ma naissance. C'est pourquoi je veux aujourd'hui écrire ce que j'ai appris sur elle depuis mon enfance.

Ma grand-mère maternelle, Johanne Meyer, est née le 2 décembre 1887 à Rathsdamnitz près de Stolp en Poméranie, troisième enfant de Maria Heinrich August Meyer de Cologne et de Katharina Margarethe Sulzer de Gauangelloch dans l'Odenwald.

018 Enhanced Repaired

Je ne sais pas comment la Sulzers Gret, fille de boucher et d'aubergiste du pays de Bade, et le fils d'une grande famille bourgeoise de commerçants de la région rhénane et de Westphalie se sont rencontrés, l'histoire de ce mariage mouvementé peut être lue dans "Sulzers Gret".
En tout cas, Johanne n'a pas beaucoup parlé de son père, ce qui n'est pas étonnant, car on murmurait plus qu'on ne parlait d' "August Maria" dans la famille. En effet, ce mariage s'est soldé par un divorce, et la Sulzers Gret aurait tué quiconque aurait évoqué ce mari devant elle.

Il est facile de deviner pourquoi la famille s'est rendue en Poméranie en 1887 : Le Meyer avait encore une fois changé de position. Depuis son mariage, il devait s'agir d'un énième emploi.

Johanne, en fait : Auguste Ottilie Johanne, était nommée d'après sa marraine, la sœur de son père, Auguste Ottilie MEYER, *1867 à Cologne. Ottilie aurait été éducatrice dans une famille noble en Suisse. Elle y aurait rencontré un Américain, se serait mariée et serait partie avec lui en Amérique : Je ne sais rien de plus sur elle, tout est sans garantie.

Ottilie Meyer 1

 

Cette photo est censée représenter la marraine Ottilie Meyer.

Pour sa confirmation, elle a offert un pendentif à sa filleule (environ 1901/02). Il est en argent, emaillé en bleu et turquoise. Sur la photo suivante, Johanne le porte – je l’ai encore aujourd’hui, et il m’arrive de le porter.

 

MEYER Johanne mit Anhaenger vor WWI

 

Johanne avec le pendentif, mais probablement plus agée que 14 ou 15 ans.

 

Ma mère Elfriede racontait toujours qu'il y aurait un précepteur dans la famille. Mais l'endroit où se déroulait l'épisode du précepteur reste indeterminé. Les fabriques de papier étaient souvent situées à l'écart des villages et des petites villes, il est donc possible qu’aller à l'école n'ait pas été possible et que Lisl ait dû être instruite à la maison. Elle avait atteint l'âge scolaire en 1888 environ, quand la famille vivait à la fabrique de papier de Rathsdamnitz, qui se trouvait effectivement un peu loin de l’agglomération. Johanne a dû commencer l’école en 1893/94 - à cette époque, la famille était déjà de retour dans le Odenwald, du moins la mère et ses trois enfants (voir l'histoire de "Sulzers Gret").
En 1891, le petit frère Maria Otto August est né à Copitz, près de Pirna en Saxe.
Peu de temps après, le mariage des parents s'était totalement brisé. August Maria avait (soi-disant !) encore une fois dépensé tout son argent avec l'une de ses éternelles inventions et voulait - pour la troisième fois déjà, selon ma mère - partir en Amérique. La Gret se serait alors mise en grève : deux fois August y serait allé sans succès, la famille avait parcouru toute l'Allemagne. Maintenant la Gret en aurait eu assez !

La mère et les enfants ont probablement déménagé dès 1893 à Spechbach, où Katharina, la sœur de Gret était mariée à Sebastian Schleidt. Elle avait la tuberculose, et elle est décédée en mars 1894. Le beau-frère s'est remarié en juin 1895, la Gret a ensuite habité à Mannheim en tant que "femme du technicien August Meyer", et elle y a eu sa propre fiche familiale administrative (Familienbogen, spécialité de Mannheim de 1807 à 1900).

La propriété des Schleidt à Spechbach se trouvait un peu à l'extérieur du village, c'était probablement l'époque où Johanne allait à l'école "à travers la forêt".
Elle avait alors un écureuil et une pie apprivoisés qui, juchés sur ses deux épaules, l'accompagnaient jusqu'à la lisière de la forêt, et l'y attendaient également, après les cours. Elle devait être une vraie sauvageonne, grimpant aux arbres et déchirant (inévitablement avec les vêtements de l'époque !) tabliers et jupes.

Mais Johanne n'était pas seulement une enfant intelligente, elle avait aussi le don de double vue. Un jour, à Spechbach, Johanne a affirmé fermement qu'il y avait un trésor sous le plancher d'une certaine pièce : elle aurait rêvé de cela.
Quelques années plus tard, lorsque ce plancher a été remplacé, on y a trouvé une série de pièces d'or. Jeune fille, elle a également "rêvé" le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Cet aspect de sa personnalité s'est transmis partiellement à ma mère et à moi, à tel point que mon père disait parfois qu'il vivait avec deux sorcières. Eh bien... Ce don est beaucoup plus prononcé chez la deuxième petite-fille de Johanne, ma cousine Hannelotte. Elle a des talents vraiment étonnants à cet égard, car elle en a hérité aussi de sa propre mère, qui était aussi "comme ça", même si elle ne voulait absolument pas l'admettre.

Le mariage des Meyer n'a été dissout qu'en 1902, après que Meyer ait travaillé à Mannheim
et ailleurs, n'ait pas payé un centime pour la famille pendant des années, et n'ait pas non plus habité chez eux. Selon le jugement de divorce, il s'était fait passer pour veuf (!) à Ettlingen, où il avait également travaillé (probablement dans l'usine de papier Buhl). En automne 1898, il se serait rendu en Suisse, comme l'a indiqué Lisl dans le procès-verbal de la procédure de divorce, ... et on ne l'a plus jamais revu...

La Gret s'est remariée en 1903 à Mannheim, avec un homme d’une extrême gentillesse du nom d'Andreas Schäfer, qui est devenu pour moi le seul arrière-grand-père que j'ai jamais connu. Les années qui ont précédé ce remariage ont dû être difficiles pour elle et pour les enfants. On ne sait pas à quel point elles ont été dures, en tout cas Johanne est entrée en apprentissage à 13 ans comme assistante commerciale, Lisl est partie à l'été 1898, comme employée de maison, à Heidelberg. Sa déclaration de départ de Mannheim est encore disponible.

Le père ayant disparu sans laisser de traces depuis l'automne 1898, le fils Otto, âgé de 20 ans, a dû faire établir la nationalité de son père avant de pouvoir faire son service militaire. Avant son retour en Allemagne en 1883, le père avait soi-disant acquis un certificat de citoyenneté à Philadelphie/USA. Il avait renoncé à sa nationalité prussienne en 1878, et voulait émigrer en Suisse (à l'époque déjà !). Otto a donc été considéré comme apatride et a dû servir en Saxe parce qu'il y était né. En février 1914, pendant son service militaire, il s'est plaint de vertiges et de fièvre, son « juteux » l'a traité de simulateur et l'a fait courir à travers la cour de la caserne jusqu'à ce qu'il s'effondre. Il est mort deux jours plus tard d'une pneumonie.

Johanne a fait un apprentissage d'employée de bureau à Mannheim. Cela impliquait, déjà à l'époque, la maîtrise de la machine à écrire et de la sténographie. Je possède encore des certificats de différentes entreprises, où elle a travaillé : Du 2 juillet 1901 (elle avait 13 ans!) au 22 août 1905, elle a effectué des "travaux de bureau légers" à la "Kalk-, Gips- und Chamotte-Zeitung, Verlag Oskar Mokrauer-Mainé"(périodique professionnel) et vers la fin de cette période d'apprentissage, elle a également travaillé comme "contoiriste" temporaire pendant quelques semaines chez "Felix Falk, Baumwollabfälle". Quelque temps plus tard, elle est entrée chez AEG (Allgemeine Elektrizitäts Gesellschaft) à Mannheim, en tant qu'assistante qualifiée, où elle a fait la connaissance de son futur mari, le monteur électricien Franz Joseph Lenz, quelques années avant le début de la Première Guerre mondiale. Johanne était alors fiancée à un autre, mais ils se sont séparés (à cause de mon futur grand-père ou à cause de la guerre ?) : la carte d'adieu du fiancé à "sa chère Johanna" existe encore.

Franz Joseph, dit Sepp, a été appelé sous les drapeaux en 1912. La Première Guerre mondiale a éclaté pendant sa deuxième année de service. Sepp a passé toute la guerre en mouvement constant entre le front occidental et le front oriental, selon ses propres termes : "... de haut en bas, de droite à gauche, par train et à pied jusqu'à la fin de la guerre".

Ils voulaient se marier en mai 1916, à l'occasion de sa première permission de retour au pays. Lors de la recherche des papiers nécessaires, Johanne, contrairement à son frère, a été certifiée de nationalité américaine. À cette époque, on ne voyait plus les Américains d’un très bon œil en Allemagne : ma future grand-maman a échappé de justesse à un internement en tant qu' "étrangère ennemie".

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23.5.1916 : le matin, on se rend à l'état civil...

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... et l'après-midi, on se rendait au mariage protestant à l'église. J'ai encore la bible du mariage.

Johanne devait être chef de bureau chez AEG à cette époque, car il y a des photos du bureau où elle est désignée comme telle. Sa tenue de travail au bureau à l'époque : une longue robe sombre, avec un tablier blanc à bavette avec des volants !

En dehors du bureau, Johanne était très élégante, même en tant que très jeune femme. Elle était plutôt grande pour son époque (1,68 m), mince, les yeux foncés, le teint très clair et les cheveux châtains. La mode de l'époque lui allait à merveille. Elle avait un visage à chapeaux, et un goût très sûr, en ce qui concernait la composition, la couleur, et la coupe de ses vêtements. Tous ceux qui l'ont connue ont mentionné son attitude distinguée...

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Johanne (au centre) avec deux collègues.

Les trois jeunes Meyer étaient tous trois assez beaux : Luise, jeune fille, avait un visage plutôt plein, avec les traits de son père, des yeux sombres et de magnifiques cheveux auburn. Je les ai encore vus quand j'étais enfant : ils s’étaient très bien conservés entre sa mort en 1907 et la dispersion de sa tombe quelques décennies plus tard. Son beau-père Schäfer avait alors conservé les tresses dans son bureau, où ils sont restés jusqu'à sa mort en 1952. Otto était beau de visage et imposant de stature, son neveu Heinrich, mon oncle, lui ressemblait beaucoup. (Photos dans l'histoire de Sulzers Gret).

Après son mariage, Johanne ne travaillait plus, les employées mariées étaient en général indésirables et devaient en outre obtenir l'autorisation de leur mari. Son fils Heinrich est né en janvier 1917, un petit prématuré de 7 mois, à Mannheim, O7,4, où le jeune couple vivait avec la mère et le beau-père de Johanne. Le petit Heinrich était un enfant particulièrement faible, qui criait sans cesse d'une voix fluette, la tête tremblante, pendant trois mois. Sa grand-tante, la mariée Schleidt, était venu de Spechbach pour l'inspecter, et commentait à son retour : "je ne sais pas s’il est encore vivant ! Le prématuré s’est bien rattrapé, car Heini était plus tard une espèce d’armoire normande.

Cette photo du jour du baptême a été envoyée au papa sur le champ de bataille, il n'a pu voir son fils que bien plus tard.

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Après la guerre, Sepp a immédiatement repris son poste chez AEG, mais il a continué à se former en suivant des cours du soir, et a passé son examen de maîtrise d'électricien et de technicien radio en juin 1919.

En 1922, toujours à O7,4, sa fille Elfriede est née. Encore un accouchement à domicile, comme c'était la coutume à l'époque, mais cette fois le père était présent - heureusement ! Car le cordon ombilical était enroulé autour du cou du bébé et la sage-femme a perdu la tête : le jeune père a empêché de ses propres mains la strangulation et a ramené la sage-femme à la raison en l’engueulant copieusement. Elfriede est devenue ma mère.
En 1926, sa fille Luzie est apparue sur la scène, toujours en O7,4.

En 1927, Sepp s'est mis à son compte avec un collègue, mais ... Je vais le laisser s'exprimer lui-même : "Le 8.2.1928, déménagement à (Neu-Ostheim) Dürerstraβe 16, magasin, après que la collaboration avec Johann Schmitt ait tourné court au bout de 13 mois. Après 5 ans, abandon du magasin, déménagement à Dürerstr.12" (extrait du "carnet de notes de Wimar", un livret que l'ancêtre Wimar Lenz, avait trouvé et utilisé ensuite pour noter les naissances de ses enfants et ses affaires. Ce sera à nouveau une histoire à part entière ! Il a servi plus tard comme une sorte de chronique familiale).

Derrière les maigres mots de Sepp se cachent toutes sortes de choses. Après la dépression de 1929, les affaires se sont dégradées, et en 1933, les premiers Juifs prévoyants ont commencé à partir à l'étranger. Ce fut le cas des propriétaires d'une entreprise pour laquelle mon grand-père avait effectué d'importants travaux d'installation. Ils partirent sans avoir au préalable réglé leur facture. C'est compréhensible de leur point de vue, mais cela a failli coûter son entreprise à mon grand-père. Il a ensuite été victime d'un infarctus, et a dû abandonner son appartement, son atelier et son magasin de la Dürerstr. 16. L'entreprise a continué à fonctionner de façon réduite au 12 de la Dürerstraβe. Au lieu de plusieurs compagnons et apprentis (jusqu'à 8 employés), et du magasin, il n'avait plus que trois employés au maximum, c'est-à-dire deux apprentis et un compagnon.

Johanne s'est occupée de la comptabilité dès le début. Aucun problème pour elle, car elle avait appris à le faire. Mais comme il fallait aussi s'occuper des enfants, du ménage, et des employés (on les nourrissait, on leur fournissait leurs vêtements de travail que l’on lavait), il fallait des bonnes. Johanne en avait deux avant 1933, puis une seule après. Elle avait déjà fait couper ses très beaux cheveux longs dans les années 20, car les coiffer lui prenait du temps qu'elle n'avait pas ; en outre, elle espérait que le poids réduit de sa coiffure améliorerait ses migraines. À l'époque, son mari, contrarié par la perte de sa chevelure, ne lui a pas adressé la parole pendant trois semaines.

Mon grand-père écrit encore : "Après de nombreux hauts et bas dans les affaires : période de persécution politique. Conséquence : enrôlement au S.H.D. (service de sécurité, département de protection aérienne), l’entreprise a dû fermer".
C'était peu après le début de la Seconde Guerre mondiale. Entre 1933 et cette époque, le magasin ne s'était jamais vraiment remis, notamment parce que Sepp ne voulait absolument pas adhérer au parti national-socialiste. Il n'eut donc plus de commandes d'installations importantes. Après la perte de l’entreprise, ils ont ouvert un petit magasin d'articles électriques dans une pièce du nouvel appartement, et Sepp réparait des fers à repasser, des lampes de chevet, et des radios, le soir après le service.

Johanne s'occupait désormais seule de sa famille. Mais cela n'a pas entamé sa soif de connaissances. Elle avait constamment le nez dans un livre, apprenait surtout des langues étrangères, et oubliait parfois de faire la cuisine. Pour le reste, elle était d'une précision méticuleuse avec quelques particularités. Chez Lenz, on prenait toujours, comme c'est souvent le cas en Allemagne, un dîner froid, c'est-à-dire que Johanne préparait, à table, des sandwichs pour toute la famille. Elle avait toujours plusieurs couteaux devant elle, un pour le beurre, un pour les pâtés à tartiner, un pour les saucisses à couper, un pour le fromage à pâte dure, un pour le fromage à pâte molle... Où avait-elle appris cela ? Je ne sais pas ! Seul mon grand-père se chargeait de nettoyer les harengs fumés : il le faisait également à la table de la salle à manger, sur du papier journal, même après la guerre, alors que j'étais déjà au monde. Cela m'a toujours fasciné de voir à quel point il était doué pour cela !

(Addendum : au début de leur mariage, Sepp avait acheté à Johanne un manuel d'entretien ménager et de cuisine, en deux volumes, car elle n'avait pas pu apprendre correctement cela chez sa mère, à cause de son travail. Selon les dires de ma mère, ce manuel ne faisait pas partie des lectures préférées de Johanne - mais des miennes ! C'est une source d'informations sur la vie domestique au tournant du siècle, et on y trouve beaucoup d'excellentes recettes. Mais le plus drôle, ce sont les images et les explications sur, par exemple, "le repassage et le pliage des culottes de femmes ouvertes" !).

Sous le Troisième Reich, Johanne était toujours parfaitement informée, malgré la censure et le récepteur populaire au programme unique. Elle écoutait en cachette les stations interdites, car mon grand-père, en tant que technicien radio, avait pu bricoler un appareil qui captait aussi d'autres longueurs d'ondes. Là, elle était souvent si indignée qu'elle se dressait à la fenêtre du salon en maugréant bruyamment, et en racontant aux passants les dernières turpitudes du pouvoir en place.
Dans l'atelier au sous-sol, ou carrément dans la cave, elle cachait aussi de temps en temps des personnes en danger, juste pour une nuit ou quelque chose comme ça, mais elle aurait quand même été envoyée en camp de concentration si l'affaire avait été découverte - et sa famille avec. Heureusement, le chef de block qui était un ami de Sepp, n’en disait rien, mais envoyait même un avertissement lorsqu'il avait vent d'une rafle.

Johanne tenait bien fermement les rênes de l’éducation de ses enfants. Avec Heini, c'était nécessaire, car il était très turbulent. Elle avait la main leste, qui faisait des allers et retours rapides autour des oreilles du fautif, raison pour laquelle son fils et ses copains l'appelaient la "Schlackertaste"(à peu près : la patte automatique) . Mais l’effet en était encore retentissant plus d'un demi-siècle plus tard, car lorsque mon oncle m'a revue dans les années 80, après plusieurs années, il a pâli et balbutié avec stupéfaction : "Oh mon Dieu, la Johanne !", ... et m'a ensuite traité avec un respect notable.

Ma mère Elfriede était une petite fille très sage, mais elle aussi m'a raconté qu'elle avait attrapé sa dernière gifle de la main de sa mère alors qu'elle avait déjà 22 ans.

La plus jeune sœur, Luzie, était aussi turbulente que son frère... Une enfant très éveillée, pleine d'esprit de contradiction, et toujours à la recherche de quelque chose de nouveau – de préférence interdite - à faire. Une fois, elle a goûté à l'eau de Cologne dans la bouteille posée sur la surface en marbre d’une ancienne commode à lavabo : on peut encore voir aujourd'hui encore les taches que l'alcool y a laissé, lorsqu'elle a recraché le produit illico. Une autre fois, Luzie avait à nouveau disparu sans laisser de traces (elle s'enfuyait dès qu'elle le pouvait), la famille était en plein émoi, jusqu'à ce que, sur les indications d'un client, on retrouve la fillette de trois ans dans la vitrine du magasin, où elle faisait des grimaces aux passants.
A l'âge de cinq ans, elle a été victime d'un accident mortel. Cela s'est passé ainsi : derrière les immeubles d'habitation de la Dürerstrasse se trouvent de grandes terrasses sous lesquelles sont encastrés des garages. Il y a donc un bon étage jusqu’à la cour en dessous. Les terrasses des différents bâtiments sont séparées par des murs d'une hauteur supérieure à celle d'un homme, qu'il n'est pas facile d'escalader. Pour passer d'une terrasse à l'autre, les enfants les plus grands contournaient donc le mur par l'avant en se tenant aux balustrades des terrasses. La petite fille a voulu les imiter, est tombée, et est morte le surlendemain.

Durerstr 16 familien Lenz

Dürerstr. 16, devant Heini, derrière Johanne, Luzie (sa seule photo), Sepp, Friedel, Erika, fille de tante Lina et de l’oncle Matjö Lenz derrière elle.

Johanne aimait beaucoup les animaux, elle avait presque toujours un chat à la maison, et souvent un pensionnaire lorsque ses propriétaires avaient temporairement besoin d'un logement pour leur animal de compagnie. A part divers chats, il y avait Lora, le perroquet gris, et Cora, la chienne Terre-Neuve, qui restaient des mois durant. Heinz Gutjahr, un copain de Heini qui habitait dans le même immeuble, avait l'habitude de dire que dans une nouvelle vie, il voulait devenir chat chez Mme Lenz. Une nuit, un de ces gentilles chattes a fait ses petits dans le couvre-cafetière, posé sur le buffet de cuisine.

La famille ne pouvait pas se permettre d'avoir une voiture, mais elle avait des vélos. C'est ainsi que certains dimanches, on partait en excursion à la campagne. Johanne, qui n'était pas du tout sportive, mais élégante avec son chapeau et ses escarpins, se tenait très raide et pas très assurée sur son vélo. Et voilà qu’elle a fait une chute, et s'est cassé un talon en tombant. Une roue du vélo était voilée, il fallait pousser. Johanne qui marchait, selon son habitude, quasiment que sur la pointe des pieds, ne découvrit qu’à la maison la mésaventure du talon cassé. Les autres ne dirent rien, ils se contentaient de pousser leurs propres vélos derrière Johanne, en étant pliés de rires étouffés. Une autre fois, son élégance avait joué un méchant tour à Johanne : elle portait alors un chapeau de paille avec de grandes fleurs de coquelicot rouges en tissu, avec une robe blanche. Malheureusement, il y eut un orage, les beaux coquelicots ne résistèrent pas à la pluie, et la jolie robe blanche fut rayée de rouge...

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Johanne contracta la tuberculose dans un abri antiaérien. Elle avait déjà séjourné dans un sanatorium avant son mariage, comme l'indique une carte que lui a adressée son futur beau-père.
Lorsque le mari de Johanne, et ses enfants revinrent de la guerre en 1945, elle était déjà très malade, mais elle ne voulait en aucun cas rester mentalement inoccupée. Elle lisait tout ce qui lui tombait sous la main. Elle trouvait l'occupation américaine plutôt intéressante, et sortit son meilleur anglais pour pouvoir discuter avec Charlie, le bon ange noir de la famille (voir l'histoire de Putzibam). Mais elle n'eut pas longtemps l'occasion de profiter de ces temps plus paisibles. Un placement en sanatorium avait été rejeté par les services administratifs : on avait besoin des places pour des personnes plus jeunes. Elfriede a soigné sa mère jusqu'à sa mort en août 1946.
Ma mère fut infectée par la tuberculose de sa mère, ce qui lui a valu ce qu'on appelle une caverne, une cicatrice dans les poumons, mais celle-ci a guéri d'elle-même. Maman ne l'a appris que lors de l'examen obligatoire avant son mariage en 1947.

Le dernier Noël de Johanne fut celui de 1945, il en reste sa toute dernière photo, où elle est assise à la table avec sa fille Elfriede (Friedel), le soldat américain Charlie de l'histoire de Putzibam et sa belle-mère Luzie Lenz, née Knäpper.

Weinachten 1945

J'ai toujours le grand livre que Johanne aimait lire dans ses dernières années : La « Salle des Images de l'Histoire Allemande », un recueil de gravures et de textes, datant de 1899. Sur la dernière page, la nouvelle année 1900 se lève, rayonnante, comme le soleil au-dessus de l'horizon. Enfant, j'aimais lire ce livre et regarder les nombreuses belles images - comme Johanne autrefois. Sur certaines pages, on trouve encore aujourd'hui des taches de café et aussi quelques miettes qu'elle y a laissées ...

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